Interview avec Philippe Castro Castejon






Les citoyens de l’Union européenne jouissent du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États-membres. Les frontières de chaque état deviennent de plus en plus virtuelles. La vision de l’appartenance nationale, traditionnellement liée au limites territoriales, dépasse aujourd’hui les frontières des États-nations européens.
Afin de clarifier cette ambiguïté, le traité établissant une constitution européenne, rédigé en 2004, précise que toute personne ayant la nationalité d’un État membre possède de la citoyenneté de l’Union, Celle-ci s’ajoute à la citoyenneté nationale mais ne la remplace pas. Comment vous positionner vous par rapport à cette évolution ? L’idée d’appartenance nationale est-elle encore d’actualité ?

La coexistence des deux citoyennetés ne pose pas en soi de problèmes fondamentaux car chacun, à la manière des poupées russes,dispose d'identités multiples attachées aux lieux et à des familles choisies socialement et/ou professionnellement.
La plus exigeante de ces appartenances sur le plan symbolique était la nationale car elle entrainait un cortège de devoirs envers elles, ancrés pour la plupart dans l'histoire des nations. L'Européenne induit également des droits et devoirs équivalents mais qui sont moins présents dans l'esprit des citoyens européens à la fois car :

1, l'Europe n'est pas encore une réalité et demeure au stade d'un projet ( pas de Constitution, absentéisme lors des échéances électorales, disparités des visions des états membres, méfiance en période de crise etc...).

2, l'émergence du concept de "citoyen du monde" et son apparente nécessité pour l'avenir du monde vient porter de l'ombre à celui du statut européen et le fragilise sur le plan de l'urgence de son accomplissement.

Cette dilution du sentiment d'appartenance à une citoyenneté définie semble légitimée par l'agrandissement successif des territoires auxquels il est relatif.
Seul l'avenir incertain du monde et les inquiétudes sur l'avenir de l'humanité peuvent réveiller la nonchalance avec laquelle est considéré cette problématique.
Un des problèmes majeurs des politiques des pays membres de la CEE sera donc de dynamiser le sentiment d'appartenance à un espace européen tout en intégrant cette dynamique dans une perspective emprunte de la défense des intérêts internationaux voire planétaire qui vont au delà de son périmètre.



L’identité européenne est une notion dont les fondements restent incertains. L’autorité politique européenne hésite à s’imposer pleinement et la coexistence sociale, économique et culturelle est encore disparate. Il manque alors des éléments capable de légitimer et de promouvoir ce sentiment d’identité commune.
L’architecture comprend la fonction politique et sociale car elle reflète et représente la réalité à travers le regard de l’architecte. Quelle rôle devrait-elle avoir dans ces recherches de fondement de cette identité commune?

La réponse à cette question sera duale par force, car, en l'occurrence, je suis citoyen européen et architecte et il me parait intéressant de tenter de séparer les positions de l'un et de l'autre.
Le citoyen peut s'étonner à bon droit d'une telle question et ce à l'éclairage même de l'énoncé de la question et plus généralement de la réponse faite à la première.
En effet comment donner interprétation, un caractère à quelque chose dont les fondements sont aussi peu prégnants dans la vie quotidienne et qui semble être encore une utopie politique ?
Il semblera beaucoup plus urgent de communiquer et de dynamiser des initiatives telles que celle intitulée " Europe pour les citoyens " qui à la charge depuis 2007 et jusqu'en 2013 de rendre visible pour le plus grand nombre les enjeux de cette citoyenneté.
Le risque serait grand pour la cause européenne de lui donner une écriture architecturale vide de contenu surtout pour des constructions abritant des fonctions politiques.

L'architecte peut être par atavisme professionnel tentera de répondre à l'appel du programme
en faisant taire ses interrogations de citoyen.
Il n'est pas forcément juste, là et ailleurs, de penser qu'il ait le rôle de catalyseur social qu'on veut bien lui faire endosser traditionnellement.
Il faudrait en l'occurrence, pour valider cette hypothèse, qu'il préexiste une vision globale et disponible pour que l'architecte puisse la présentir et l'interpréter. Nous avons vu qu'il n'en n'est rien ou que les signaux sont pratiquement imperceptibles.
L'architecte devra donc faire face seul à sa problématique tout comme aux griefs que ne manqueront pas de lui adresser ses semblables au terme de sa réalisation.

La représentation de la cause européenne inscrite matériellement dans une architecture devra probablement éviter les écueils d'une représentation qui convoquerait le symbolique ou le manifeste. S'il est toujours plus facile de dire ce qu'elle ne devrait pas être plutôt que ce qu'elle devrait, il me parait plus intéressant de travailler sur la notion de territoire qui renvoie à la fois à la problématique des nations européennes et à la dimension urbaine dans laquelle les projets prendront corps.


Philippe Castro Castejon, architecte dplg
Paris le 2 décembre 2010.

> castrocastejon.com



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