L'ambassade idéale au XIXe siècle : étude comparative des prix de Rome d'architecture de 1841 et 1869, Livraisons d'Histoire de l'Architecture n°04, 2002, Yves Bruley,
Le quatrième numéro de la revue Livraisons de l’Histoire de l’Architecture a pour thème la réflexion architecturale au XIX siècle. On compare, dans le premier article les deux premiers prix du concours le Prix de Rome des années 1841 et 1969. L’étude se base notamment sur l’analyse du programme et du caractère des projets, c’est-à-dire la partie symbolique de cette architecture diplomatique.
Deux raisons majeurs justifient la nécessité d’étudier une architecture diplomatique pour la France. Tout d’abord, on remarque un développement du sentiment nationaliste en parallèle des nombreux débats politique sur le sujet des affaires internationales. Puis on constate un développement important des services diplomatiques et une professionnalisation de la carrière. C’est au XIX siècle que prend forme l’identité de l’ambassade comme un bâtiment indépendant et singulier.
Afin de définir un programme approprié, il fallait prendre en compte quatre nécessités.
-les exigences de la part de l’administration, pour assurer son bon fonctionnement.
-la nécessité d’adaptation à une vie mondaine.
-obligation d’intégrer des logements.
-le bâtiment doit donner l’exemple de ce que l’architecture et les arts décoratifs produisent de mieux en France.
Les sujets du concours pour le prix de Rome
1841:«Un palais pour un ambassadeur de France auprès d’une puissance de premier ordre.»
1869: «Un palais d’ambassade française dans la capitale d’un puissant État.»
A l’époque des deux concours les affaires étrangères occupent une place capitale dans les débats politiques en France. Les ambassadeurs ont une réelle part d’initiative dans les négociations et leur influence sur les gouvernements, auprès desquels ils sont accrédités, est souvent décisive. Deux questions majeures occupent alors ces débats politiques et architecturaux. Quel visage la France voudrait-elle montrer à l'Étranger? A quelles exigences pratiques une résidence d’ambassadeur devrait-elle répondre pour remplir au mieux les missions de la diplomatie française?
A. Concours d’architecture pour le grand prix de Rome en 1841 : Invention d’un monument
contexte
En 1840 le compte de Latour Maubourg, ambassadeur de France à Rome demande au gouvernement français d’acheter le palais Mancini et d’en faire une résidence diplomatique permanente. La France, contrairement à l’Espagne ou l’Autriche est locataire des bâtiments diplomatiques. Cette proposition est rejetée car la politique de la monarchie de Juillet est de louer des appartements et en aucun cas les acheter ou construire. Le concours de 1841 est donc une occasion d'inventer un monument nouveau.
Le programme distingue trois traits de caractère:
-le caractère défensif,
car la première obligation est l'isolement. L'ambassade doit être composée de deux parties, l'une intérieure, destinée à accueillir les familles des diplomates, l'autre, extérieure destinée aux domestiques. Le palais lui même doit se trouver entouré de bâtiments secondaires. Il est prévu de supprimer la communication entre la partie noble et les parties secondaires en cas de danger de propagation d'une maladie contagieuse. Pour résister durant la guerre potentielle, la limite de la parcelle est fortifiée. L'ambassade doit aussi pouvoir protéger des citoyens français en danger en cas de besoin, des locaux de stockage sont à prévoir. Le programme projette donc une sorte de citadelle diplomatique, une ambassade sur la défensive.
-le caractère festif
On prévoit un aménagement des parties d'honneur pour organiser des vastes réceptions brillantes. Car, à cette époque, la puissance d'un empire se mesure sur la magnificence qu'il déploie. Le faste doit être une manifestation permanenta de la grandeur nationale. Des armes et des insignes de France doivent figurer sur toutes les façades. L'ambassade ainsi décorée doit être visible d'un endroit en terrasse situé dans la propriété.
-le caractère pratique
le troisième trait de caractère est l'aspect pratique de l'ambassade, c'est-à-dire la vie quotidienne et le travail des diplomates
(des appartements, une chapelle, des archives, un secrétariat, des bureaux, des logements pour le personnel, des écuries).
Projet Lauréat
Alexis Paccard (1813-1867) se fait remarquer six ans auparavant grâce à son Mémoire explicatif de la restauration du Parthénon, où il définie le Parthénon comme "le type le plus beaux d'un monument religieux à la plus belle époque de l'art". Il est évident que Paccard dessine alors, en 1841, une sorte d'acropole diplomatique.
Le projet lui-même apparaît comme une splendeur incommode, le bâtiment est immense, les bureaux et appartements sont nombreux mais mal définies, et le service consulaire est inexistant. Cette vision d'une diplomatie peu institutionnalisée ou on projette d'avantage un palais pour un ambassadeur qu'une réelle Ambassade de France est bien celle de l'Ancien Régime.
B. Concours d’architecture pour le grand prix de Rome en 1869 : Maturité et modernité de la diplomatie
contexte
Le concours de 1869 reflète l'évolution de la diplomatie. Encore en 1860 le Conseil d'État refuse de construire des ambassades
neuves et préfère acheter des bâtiments existants (à Vienne Berlin et Londres).
Le programme distingue trois traits de caractère:
-le caractère de l'extrême précision
Toutes les pièces sont précisément indiquées, les postes et objets quantifiés.
-le caractère de l'efficacité administrative
L'ambassade ne se contente pas d'être qu'un symbole de prestige. Une partie du bâtiment est celle consacrée aux missions diplomatiques, une autre servira pour le traitement des affaires consulaires. Le service a pour mission de défendre des intérêts nationaux et de promouvoir des intérêts commerciaux. Les relations diplomatiques en plein essor dans les années 60 revendiquent un équipements d'une efficacité remarquable. L'ambassade moderne est une véritable administration française à l'étranger.
-le caractère festif
Tous les aspects défensifs ont disparus au profit des aménagements pour recevoir des fêtes somptueuse .
L'ambassade dessinée par Charles-Louis-Ferdinand Dutert est à la fois spectaculaire et pratique, démonstrative et ouverte sur la ville. Elle est malgré ses dimensions intégrée dans le tissu urbain.
C. La rhétorique générale de la diplomatie
En 1841 on remarque une prédominance du motif central dans l'architecture classiciste des plans des "grands prix de Rome".
Cette magnificence sans faute de goût, de la grandeur sans sortir de l'élégance est omniprésente.
Le programme de 1869 demande de se référer à la vision actuelle de l'art en France. L'atticisme comme style directeur du projet architectural de Paccard convient à un régime élitiste soucieux de se distinguer et de démontrer au monde le génie de la Nation par la pureté de son art. Le style de Dutert qu'on peut définir non pas comme baroque mais comme asianisme, est festif et populaire. Il veut conquérir des foules par l'étonnement, l'admiration et l'éblouissement.
Entre 1841 et 1869, la rhétorique architecturale de la diplomatie est passée d'une démonstration toute défensive, d'esthétique classique, tournée vers le glorieux passé national, à une démonstration conquérante, reflet d'une diplomatie entrée dans la modernité, mais trop certaine de sa force de séduction, trop arrogant pour pouvoir douter de son aveni.
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