Espace et son organisation




Dans leur comportement, les hommes se servent de leurs sens pour différencier les distances et les espaces. La distance choisie dépend des rapports inter-individuels, des sentiments et des activités des individus concernés.



L'homme occidental a organisé ses activités et relations sociales selon un ensemble de distances déterminées auquel il a ajouté ensuite les notions de personnes publics et de rapports publics. Les relations et les comportements publics des européens sont différents de ceux pratiqués ailleurs dans le monde. Ainsi, pour eux, il est implicitement obligatoire de traiter les étrangers selon certains modes déterminés. D'où l'existence des quatre catégories principales de rapports inter-individuels ( intime, personnel, social, public – les quatre dimensions du système proxémique¹ ) et des activités et espaces qui leur sont liés. La faculté d'identifier ces différents zones affectives ainsi que les activités, les relations et les émotions qui leurs sont respectivement associées, est devenue aujourd'hui d'importance considérable. Dans le reste du monde les rapports inter-individuels sont régis par d'autres structures.

Un élément défini comme intime dans une culture peut devenir personnel au même public dans une autre. En étudiant les systèmes proxémiques des cultures différentes on peut mettre en lumière les spécificités de leur comportement inconscient et ainsi structurer les espaces du programme de l'ambassade. Les exigences de l'espace varient d'une culture à l'autre.

Trois modèles de l'organisation spatiale

Le niveaux proxémique microculturel est celui où on peut distinguer trois aspects de l'espace, selon qu'il présente une organisation rigide, semi rigide ou informelle.
L'homme lui aussi s'est créé des prolongements territoriaux matériels, ainsi qu'un ensemble de signes territoriaux visibles et invisibles. Le territoire est en plein sens du terme un prolongement de l'organisme, marqué de signes visuels, vocaux et olfactifs.



1. Espace à organisation fixe

Constitue l'un des cadres fondamentaux de l'activité des individus. Le mode de groupement et le mode de partition interne du bâtiment corresponde également à des structures caractéristiques déterminées par la culture. Les espaces internes des maisons occidentales sont organisés de manière fixe (on y trouve des pièces particulières correspondant à des fonctions spécifiques – préparation et consommation des repas, les activités, sociales, le sommeil, la procréation ou l'hygiène). Pourtant, les pièces n'avaient pas de fonction fixe jusqu'au 18ième siècle. En français, il existent des noms spécifiques pour chaque pièce, dans la langue anglaise on nomme les pièces selon leur fonction.



Généralement, les espaces fixes sont délimités de l'espace extérieur par un écran (façade), dans certains cas l'image de l'espace enveloppé est projetée sur cette façade. Cette paroi peut être aussi utilisée pour dissimuler l'identité devant le monde extérieur car maintenir une ''façade'' peut exiger d'un individu une grande dépense nerveuse. Dans ce sens, l'architecture est en mesure de décharger les humains de ce fardeau. Elle peut également leur fournir le refuge ou se ''laisser aller'' et être simplement soi-même. 



Le sens d'orientation correcte dans l'espace est ancré dans les profondeurs de l'homme. Pourtant, il ne s'agit pas seulement de se soucier de l'organisation visuelle de ce qui est visible dans la construction, il faut prendre en compte le fait que l'individu transporte avec soi des schémas internes d'espaces à structure fixe acquis au début de la vie. Selon E. T. Hall¹, il est essentiel de comprendre que l'espace à caractère fixe constitue le moule qui façonne une grande partie du comportement humain.



L'une des différences de base entre les cultures tient au fait qu'elles prolongent respectivement des éléments anatomiques et des comportements différents de l'organisme. Deux éléments de cultures différentes doivent être adaptés par les cultures respectives afin d'éviter des structures parfois contradictoires. 



2. Espace à organisation semi-fixe

L'espace cloisonné peut devenir source de contacts ( espace sociopéte ) ou au contraire moyen d'isolement ( espace sociofuge ) par rapport à la disposition des éléments intérieurs à cet espace. Un espace à caractère fixe dans une certaine culture peut être semi-fixe dans une autre. Au japon les cloisons se déplacent selon l'activité de l'homme, en Europe, l'homme se déplace selon la fonction de la pièce. En Chine les éléments semi-fixes (par ex. une chaise) sont parfois considérés comme fixes et leur déplacement est un signe d'impolitesse ou de mécontentement.

3. Espace informel

L'espace informel comprend les distances que nous observons dans nos contacts avec autrui. Il se construit continuellement. Les modèles spatiaux informels ont une signification qui joue un rôle fondamental dans la définition des cultures. Chez l'homme, le sens de l'espace et de la distance n'est pas statique. La perception de l'espace est dynamique, par ce qu'elle est liée à l'action, à ce qui peut être accompli dans un espace donné, plutôt à ce qui peut être vu dans une contemplation passive. Nombreux sont les éléments qui contribuent à créer le sentiment humain de l'espace. Les mécanismes liés à la saisie des distances se produisent inconsciemment. 


Chaque culture possède une structure proxémique différente. Les distances mesurées peuvent varier légèrement avec la personnalité du sujet et les caractères de l'environnement. (un bruit intense ou un faible éclairage auront pour effet de rapprocher les individus les uns aux autres).






      3.1.  Distance intime (0-0,4m):
C'est la distance lors de l'acte sexuel, de la lutte, celle à la quelle on réconforte et on protège. La conscience est dominée par le contact physique. La présence de l'autre peut devenir envahissante par son impact sur le système perceptif.



      3.2.  Distance personnelle (0,4 - 1.2m):

La distance fixe qui isole les membres de la société, elle est sans-contact, s'il est violent sauf volontaire. A cette distance on ne constate plus de déformation visuelle des traits de l'autre. Le relief des objets perçus est particulièrement prononcé (volume, matière, texture et forme). La position respective des individus révèle la nature de leurs relations ou de leurs sentiments (il s'agit de la distance d'une communication intime ou amicale, la distance à laquelle on ressent la chaleur et l'odeur corporel)



      3.3.  Distance sociale (1,2-3,6m)
La distance sociale débute là où s'arrête la limite du pouvoir sur autrui. Les personnes qui travaillent ensemble pratiquent la distance sociale proche lors des négociations et les réunions informelles. Ils s'agit des relations sans contact physique, la hauteur de la voix est normale durant la communication.



     3.4.   Distance publique (3,6m  +)
Style propre aux individus destinés à demeurer des étrangers. Les linguistes ont remarqué que cette distance implique une élaboration du vocabulaire et du style particulière. La voix est haute mais n'atteint pas son volume maximal. A partir de la distance de 9m la subtilité des nuances de significations donnés par la voix normale échappe au même titre que les détails de l'expression des gestes. A cette distance, l'individu perd son volume et fait partie intégrante d'un fond spécifique.




L'espace et son organisation indiquent également l'importance d'une personne et sa place dans la hiérarchie: l'espace alloué à une personne et sa place au sein d'un organisme en disent long sur elle et sur ses relations avec l'organisme. La répartition de l'espace légal des activités a pris une telle importance aux yeux de la bureaucratie moderne que l'on permet rarement à certains employés de s'éloigner de leur bureau. Par exemple, les secrétaires d'ambassades américains envoyés en Amérique latine devaient avoir plus de contacts avec la population locale, mais à cause des habitudes de la bureaucratie ils ne peuvent pas quitter leurs bureaux. Les administrations subordonnent l'homme à l'organisation et parviennent en grande partie grâce à la manière dont elles manipulent les systèmes spatio-temporels.

De nos jours, le nombre de situations dans lesquelles l'homme ne pourra plus compter sur sa propre culture pour prévoir le comportement d'autrui augmente. Ce constat prend toute son importance lors des réceptions diplomatiques dans une ambassade où on est constamment appelé à avoir des relations avec des étrangers.
La plupart des anthropologues définissent la culture à l'aide des trois traits suivants: elle n'est pas innée mais acquise, les divers aspects de la culture constituent un système (c'est à dire que tous les éléments de la culture sont solidaires) et enfin, elle est partagée, elle définit les différents groupes. La culture européenne est en construction, elle trouve ces bases dans les valeurs revendiquées par les différents traités fondamentaux de l'Union.

Les systèmes d'organisation spatiale fixe et semi-fixe peuvent servir de base de fondement de cette culture, les espaces ainsi créés vont donner une référence à la perception spatiale des sujets qui vont pratiquer ces espaces. On peut envisager ce système d'organisation de style 'européen' (dans la plupart des cas orthogonal, articulé et agencé selon une suite fonctionnelle des espaces), comme le territoire propice pour l'apprentissage (la transmission) de cette culture européenne commune (salle de cours pour enfants, médiathèque).

Lors d'une communication entre deux individus, la parole n'assure qu'une partie de la transmission d'un message, l'essentiel est communiqué par le moyen des gestes corporel, des expressions de visage ou autres significations physiques. La distance intime et la distance personnelle, de l'ordre de l'espace informel, sont celles où le langage du corps est le plus lisible, car toutes les subtilités peuvent être comprises dans le champs du système perceptif de l'individu.
Il me semble donc indispensable de multiplier les espaces organisés selon la logique de la distance intime et personnelle. Le système nerveux humain est ainsi fait que les modèles qui commandent la conduite et la perception ne remontent à la conscience que lorsqu'il y a changement de programme. Autrement dit, la confrontation avec une culture différente, dans un contexte qui provoque le contact, assure les meilleurs conditions de communication. Encore une fois, la culture européenne, étant en construction, nécessite d'un espace où elle pourrait trouver des repères fermes, de la même manière qu'elle doit disposer d'un territoire d'expérimentation et de mise à l'épreuve en se confrontant à une culture différente.   



¹/ E. T. Hall, La dimension cachée, Seuil, 1977



1 commentaire:

  1. Outre l'ouvrage de "La dimension cachée" avez vous d'autre référence à proposer ? Merci .

    Mlle Ben arous étudiante en Histoire.

    RépondreSupprimer