Aprés l'État-nation




Après l'État-nation, une nouvelle constellations politique, Jürgen Habermas, Fayard, 1998




résumé de chapitre L'État -nation européen sous la pression de la mondialisation, p.125


Les citoyens d'un État social de l'Europe de l'après guerre doivent se sentir en même temps comme destinataires et auteurs des lois ( l'idée d'Autolégislation garantie par un État constitutionnel démocratique). Dans le contexte de l'économie et de la société mondiale, cette idée d'un État-nation dont la société agit sur elle-même touche à ses limites. Un État-nation n'arrive plus à contrôler un capitalisme déchainé à l'échelle de la planète en même temps que le fonctionnement de la démocratie à grande échelle.

A. La symbiose de l'État national et la démocratie.

Avant l'arrivé de la mondialisation, l'État, la société et l'économie étaient coextensifs à l'intérieur des mêmes frontières nationales. Les système économique international à l'intérieur duquel les états définissent les frontières entre commerce intérieur et commerce extérieur est en train de devenir un système économique transnational. Les marchés financiers organisés en réseau au niveau mondial évaluent sans appel les lieux de production nationaux. Aujourd'hui se sont les États qui se trouvent enchâssés dans les marchés, plutôt que les économies nationales dans des frontières étatiques.

La disparition virtuelle ne concerne pas seulement l'économie mais aussi la société et la culture. Ce changement affecte les conditions sur lesquelles repose le système des États européens, érigé sur les bases territoriales. Un État, privé de ses frontières, donc de son territoire perd les acteurs collectifs les plus importants. La constellation postnationale tend à supprimer ce lien constructif qui à l'intérieur des frontières de l'État nation relie la politique et le système juridique aux circuits économiques et aux traditions nationales.

La mondialisation provoque l'immigration et la segmentation culturelle à l'intérieur des États-nations et menace la composition relativement homogène de la population et donc la base prépolitique de l'intégration des citoyens. Un État perd sa capacité d'action et sa substance démocratique à cause de ses interdépendances de l'économie et de la société mondaine.

Voici trois aspects sous lesquels l'État-nation est privé de sa puissance:
-Tout d'abord la perte d'autonomie signifie qu'aucun État isolé ne peut plus protéger ses citoyens contre les effets externes, que produisent de décisions d'autres acteurs, ou contre les réactions en chaine suscités par des processus trouvant leurs origines à l'extérieur de ses frontières.
-Dans un deuxième temps, la légitimité démocratique est remise en cause au moment ou les personnes qui participent aux décisions démocratiques ne font pas partie de ceux qui en subissent des conséquences. Autrement dit, de façon plus durablement, la légitimité démocratique est réduite lorsqu'on parvient à satisfaire, par des accords entre États, un besoin de coordination qui s'accroit en même temps que leur interdépendance. En intégrant l'État national à un réseau d'accords et des régimes transnationaux on crée dans certains cas des équivalents aux compétences que l'on a perdu au niveau national. Dans l'Union européenne, le processus de décision bureaucratique propre aux experts bruxellois donne la mesure du déficit de démocratie engendré par le transfert du pouvoir de décision.
-Finalement on assiste à une réduction de la capacité d'intervention de l'État national, jusqu'ici mise à profit pour mener une politique sociale d'où l'État tenait sa légitimité. Or la capacité d'action d'un État se voit diminuer suite au fait qu'il ne possède plus une base économique fiable, c'est-à-dire un capital et une organisation. Le gouvernement ne peut que difficilement accroitre la demande, assurer des emplois et un niveau social. C'est ainsi que les gouvernements nationaux perdent la capacité de mettre à profit leurs ressources fiscales, de stimuler la croissance et d'assurer pas ces moyens certaines bases essentielles de leurs légitimité.




B. Les coordonnées du débat

Les quatre réponses politiques apportées au défit de la constellation postnationale. Il s'agit de deux opinions, contre a) et pour b) la mondialisation, puis la recherche d'une troisième voie en deux variante; défensive c) et offensive d).

a) Le parti pris pour la mondialisation s'appuie sur l'orthodoxie néolibérale qui, aux cours des dernières décennies, a imposée sa préférence en faveur d'une politique économique orientée vers l'offre. Elle préconise ma subordination inconditionnelle de l'État aux impératifs d'une intégration sociale censée s'effectuer par le biais des marchés à l'échelle de la planète et recommande un État-entrepreneur qui renonce à toute ambition de libérer la force de travail de son statut de marchandise, en congédiant tout prétention de l'État à protéger la société. Cette approche néolibérale remet en question l'avenir de la démocratie. Car les procédures et les dispositifs démocratiques, grâce auxquels les citoyens exercent une influence politique sur les leurs conditions sociales de vie, ne peuvent plus durer lorsque l'État national est privé de ses fonctions et de sa liberté d'action sans qu'aucune fonction équivalente soit assurée au niveau supranational.

b) En guise de réaction à cette évolution, on voit se former la coalition de ceux qui se défendent contre le déclin social et contre la perte de puissance de l'État démocratique et de ses citoyens. Ils s'opposent à toute transgression des frontières. Il serait pourtant difficile de reconquérir la puissance d'autrefois de l'État national car l'économie mondiale ne peut pas être rompue unilatéralement sans s'exposer à des sanctions.

c) La coupure entre les partis de la mondialisation et de la territorialité a inspiré la quête d'une troisième voie. Selon la variante défensive la politique est définitivement subordonné aux impératifs d'une société mondiale intégrée au moyen du marché. On suppose que l'État national joue un rôle actif en déployant tous ses efforts pour améliorer la qualification des acteurs sociaux et les rendre ainsi plus compétitifs. La nouvelle politique sociale serait tout aussi universaliste que l'ancienne. L'important est l'effort de rendre tout un chacun capable de prendre ses responsabilités et faire preuve d'initiative pour affirmer sa compétence sur le marché au lieu de recourir à l'assistance de l'État. On suppose que le travail serait la clé de l'intégration sociale, même si on assiste sans doute à la fin de la société de plein emploi. On parle alors d'une ''forme de vie adapté au marché mondial'', selon lequel les citoyens doivent devenir les ''chefs d'entreprise de leur propre capital humain''.

d) On envisage une variante plus offensive de cette troisième voie, on mise alors sur la capacité créatrice d'une politique cherchant, au niveau supranational, à se porter à la hauteur des marchés qui ont pris le large. Cette approche offensive postule le primat de la politique par rapport à la logique du marché. Cette autorité politique est alors capable de libérer la logique systémique du marché et où et dans quel cadre le marché est censé régner. Or si l'on croit les réflexions que nous avons développé jusqu'ici, ce langage n'est guère possible dans un cadre national. Si on cherche une issue au dilemme constitué par l'opposition entre le désarmement de la démocratie fondée sur l'état social et le réarmement de l'État national, il faut tourner l'attention vers les unions politiques de format supérieur susceptible de compenser les pertes fonctionnelles subies par l'État national, sans que la chaine de la légitimation démocratique soit rompue. L'Union européenne est une démocratie qui ne change rien aux modalités de la concurrence entre lieux de la production (autrement dit au primat de l'intégration par le biais du marché). On peut pourtant espérer à parvenir à plus long terme à engendrer l'infrastructure viable d'une politique intérieure à l'échelle de la planète, qui ne soit pas dissociée des processus de légitimation démocratique.
La politique ne doit pas chercher à entrer en concurrence pour le pouvoir entre les acteurs politiques et les acteurs économiques car à la différence des systèmes politiques, les marchés résistent notamment à la démocratisation. Malheureusement une politique créatrice de marchés est autoréférentielle, dans la mesure où chaque avancé dans la dérégulation des marchés représente en même temps une perte de puissance ou une autolimitation du pouvoir politique en tant que médium permettant d'appliquer des décisions qui engagent la collectivité.
Une politique de rattrapage, qui devrait se porter à la hauteur des marchés renverse ce processus, il s'agit d'une politique réflexive sous des signes inversés.


C. L'Europe et le mode

Dans le cas de la politique de l'Union européenne la création d'institutions politiques (Cours Européen, Banque centrale européenne) ne signifie nullement par elle même un renforcement politique. L'Union monétaire est la dernière étape sur un chemin qui peut se décrire comme une création intergouvernementale de marchés. L'Union se présente aujourd'hui comme un espace continental formant un réseau dense de marchés, mais dont la régulation politique est relativement faible. Suite au transfert de leur souverainetés monétaires à la BCE , les États membres ont perdus le pouvoir de régulation lié à la gestion des cours de change. Il faut alors s'attendre à des problèmes éventuels qui se poseront avec l'accroissement de la concurrence auquel on peut s'attendre dans la zone de la monnaie unique. Les économies les plus faibles sont les premiers à en supporter les conséquences. Les différents régimes de sécurité sociale européens vont être soumis à la même concurrence. L'Europe peut se débarrasser de ces problèmes soit en faisant jouer la concurrence, soit en s'efforçant de parvenir à une harmonisation et à une adoption progressive sur les questions décisives en matière de politique sociale, d'emploi et d'impôts. La question est au fond de savoir si le statu quo institutionnel caractérisé par une péréquation des intérêts nationaux entre les États méritent d'être défendu ou s'il s'agit de faire de l'Union européenne une authentique fédération au-delà de la confédération d'États que nous connaissons aujourd'hui. C'est à cette condition seulement que l'Europe aurait la force politique de prendre des décisions susceptibles de corriger des effets du marché et d'imposer des réglementations susceptibles d'avoir des effets en matière de redistribution. Un état fédéral européen est le premier pas vers la mise en place d'un réseau transnational de régimes capables, même sans gouvernement mondial de mener une politique intérieure à l'échelle de la planète. Par une harmonisation des différents politiques nationales en matière fiscale, sociale et économique, l'Union est-elle capable de reconquérir la marge d'action perdue par chacun des États nationaux.
La confrontation entre eurosceptiques et eurofédéralistes se concentre sur la question suivante: compte tenu de la diversité de ses États membres, de ses peuples, de ses cultures et de ses langues; l'Union européenne sera-t-elle jamais capable d'acquérir la qualité d'un authentique État? La solidarité citoyenne, jusqu'ici réduite à l'État national devrait s'étendre à tout les citoyens de l'Union afin de former une responsabilité collective. Les sceptiques pensent qu'il n'existe pas en État à l'échelle de l'Europe. D'un autre coté chacun sait bien que c'est grâce à leurs constitutions politiques que naissent les peuples.
La conscience nationale et la solidarité des citoyens ne sont engendrés que progressivement à travers une certaine façon d'écrire l'histoire (par exemple par la communication de masse et le service militaire obligatoire dans l'histoire de l'Europe de XX siècle). La ''solidarité entre étrangers'' s'explique historiquement par le passage de la conscience locale et dynastique à la conscience nationale et démographique. On ne voit pas pourquoi un tel processus d'apprentissage ne se prolongerait pas au delà des frontières nationales. Le fait de débattre le même thème au même moment à travers l'Europe permettra la formation d'une société européenne, à la condition d'instaurer une base commune de langues étrangers. C'est alors que les héritiers d'une histoire européenne commune partant de leurs centres nationaux dispersés partageront petit à petit une culture politique commune.
L'objectif à long terme devrait être de surmonter progressivement la division sociale et la stratification de la société mondiale, sans porter atteinte aux singularités culturelles.

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